Retour d’expérience Fête de la science 2020
Le numérique part en live
Face à une situation sanitaire préoccupante, la Fête de la science a privilégié les formats numériques cette année. Podcasts, visites de laboratoire et conférences filmées, quizz interactifs, stories Instagram… Les acteurs de culture scientifique (universités, CCSTI, associations, chercheurs…) ont redoublé d’inventivité pour proposer des programmations riches et interactives. Certain.es se sont même essayé.es à des événements en « live » et en ont tiré de précieux enseignements. Retour sur une édition inédite.
« Nous voulions continuer à montrer ce qu’il se passait dans les laboratoires, contribuer au dialogue science société, surtout dans ce contexte de crise sanitaire, où beaucoup de fausses informations ont circulé, où la parole des scientifiques a parfois été remise en question. Nous avons donc choisi assez rapidement de basculer sur une édition 100% numérique. » Pour Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l’Université Grenoble Alpes, il était primordial de faire vivre cette Fête de la science, même autrement. La situation exceptionnelle est l’occasion d’expérimenter de nouveaux formats. Rapidement, se pose la question de construire une programmation numérique cohérente, lisible, riche sans être trop dense. Une cible est définie, les étudiant.es, et un canal de diffusion privilégié : le compte Instagram de l’université « (H)auteurs UGA ». Des podcasts, rendez-vous réguliers d’une vingtaine de minutes, sont publiés quotidiennement aux alentours de 8h, du lundi au vendredi. « Pour que les gens ne soient pas perdus parmi toutes les propositions numériques, nous avons vraiment essayé de structurer notre programmation sur les réseaux sociaux. Tous les matins, nous postions le planning du jour, pour qu’ils sachent en un clin d’œil ce qui allait se passer dans la journée. »
Carte blanche est donnée à deux scientifiques, qui racontent leur quotidien en « story » Instagram. Des formats ludiques, images mystères, jeux, quizz, sont aussi publiés sur le compte institutionnel de l’université, où les abonné.es sont nombreux.euses. « C’était l’occasion de dire aux gens : il se passe des choses chouettes sur le compte Instagram (H)auteurs UGA, allez voir ! »
Ambiance décontractée et interactivité
Deux soirées live « Un scientifique dans mon salon » sont organisées. « L’idée était de recréer du lien et de l’échange en proposant un live un peu interactif. Nous voulions une ambiance conviviale, chaleureuse, en mode discussion avec les scientifiques, raconte Sandy Aupetit. Avec le décor, nous avons donc essayé de créer une ambiance salon et sur le plan technique, nous avons choisi des micros-cravate plutôt que des micros-main, pour que les gens soient plus libres de leurs mouvements. » Pour ménager un intermède entre les deux invité.es de chaque soirée, des quizz en direct sont proposés avec l’outil Wooclap. D’importants moyens techniques et humains sont investis, 8 personnes assurent l’organisation des soirées live.
« Notre incertitude jusqu’au jour J, c’était de savoir si les gens n’allaient pas être saturés, car pendant le confinement, il y avait eu énormément de propositions numériques en culture scientifique. »
Le bilan est mitigé : 389 vues uniques, une quarantaine de personnes connectées en simultané pendant l’événement et plusieurs centaines de visionnages en différé. Qu’en conclure, quand on sait qu’en temps normal, un village des sciences peut accueillir en présentiel plusieurs milliers de personnes au cours d’un seul weekend ? « Nous sommes en train de finaliser les bilans, pour voir ce qui mériterait d’être réinvesti sur le plus long terme et ce qui a moins bien fonctionné. Concernant les live, je pense que c’est quelque chose que nous réinvestirons, mais dans une version un peu plus allégée que nous pourrions déployer plus facilement. »
Une youtubeuse aux manettes
À Tours, c’est une journée entière de live qui a clôturé une semaine riche en propositions numériques (vidéos, jeu-concours, escape-game…). Animée par la youtubeuse Valentine Delattre, l’émission « Le village des sciences numérique » est diffusée en direct le 10 octobre sur la chaine Youtube de l’Université. « L’idée était d’avoir un fil conducteur sur la semaine et le samedi, un très gros événement en live », relate Emilie Fairier, vulgarisatrice scientifique à l’université de Tours, co-organisatrice de cette Fête de la science avec Béatrice Saunier, de Centre science.
Répartis sur deux plateaux de tournage, trois formats alternent pendant la journée. Un « talk » intitulé « Parlons science » propose 30 minutes de débat entre deux chercheurs, suivies de 10 minutes de questions des internautes. Un dessinateur croque les échanges en live. Un deuxième format diffuse la vidéo d’une visite de laboratoire – tournée en amont –, après quoi l’animatrice accueille un chercheur ou une chercheuse de la structure, que les internautes peuvent interroger. Enfin, un troisième format propose des expériences en direct, « avec des hashtags pour faire participer les gens, pour qu’ils interviennent, qu’ils postent éventuellement leurs expériences faites à la maison. Mais cela a moins bien pris. »
Pour les organisatrices, cette première tentative, portée par les moyens techniques du service audiovisuel de l’université, est très concluante, à tel point qu’elles envisagent de la renouveler. « Nous avons eu 1500 connexions sur l’ensemble de la journée, avec 14 minutes de visionnage en moyenne par personne, ce qui est vraiment bien pour le web. » Le choix d’une youtubeuse scientifique, dont la chaine « Science de comptoir » compte plus de 30 000 abonnés, explique certainement en partie ce succès.
Quelle plateforme de diffusion ?
À Strasbourg aussi, le live a été privilégié pour une micro-exploration aquatique des cours d’eau du Bas-Rhin. « Nous souhaitions toucher les gens, les sensibiliser à travers une forme d’émerveillement », raconte Jean-Nicolas Beisel, enseignant chercheur à l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (ENGEES). Ayant déjà réalisé cet atelier découverte sur un stand en présence d’un public et craignant une Fête de la science en « mode dégradé » cette année, le chercheur décide de tenter une diffusion numérique en direct, en collaboration avec le musée de Zoologie (université/ville de Strasbourg).
« Nous avons essayé de faire comme si le public était devant nous. Nous avons joué le jeu de prendre des animaux vivants, de les montrer à la caméra puis de les mettre sous la loupe binoculaire, qui projetait l’image sur grand écran, rapporte le chercheur. Nous avons trop l’habitude de montrer ces animaux-là morts. Nous voulions les montrer en interaction et commenter en direct ce qui était en train de se passer. » L’ingénieur d’étude Etienne Chanez, qui co-anime l’atelier, relaie instantanément les questions des internautes. L’interactivité fonctionne.
Ce format inédit soulève néanmoins des difficultés techniques. « Pendant la préparation, nous nous sommes vite aperçus ce qu’étaient les aléas du direct : le logiciel gérant la caméra qui plante, des problèmes de mise au point, des délais un peu longs pour rendre les séquences dynamiques… Pour monter le projet, nous avons été conseillés, notamment par un technicien audiovisuel. »
Le choix de la plateforme de diffusion n’est pas non plus évident. En concertation avec une agence de community manager locale, un Facebook live est privilégié. « Comme la communication de l’événement se faisait aussi via Facebook, cela simplifiait les choses », explique Camille Duret, chargée de coordination de projet muséologique au Jardin des sciences de l’université de Strasbourg.
Animer un atelier en live impose aussi une mise en scène qui favorise l’interactivité et maintient l’attention du public. Quelques adaptations sont nécessaires : « Les scientifiques devaient par exemple penser à montrer la taille réelle des animaux avant de les montrer sous la loupe, le genre de choses auxquelles on ne pense pas forcément quand le public est là », observe Camille Duret.
Avec quelques dizaines de spectateurs, les audiences sont décevantes. Une faible participation qui peut s‘expliquer par une communication tardive et le choix, peut-être, d’un horaire inadapté, 18h30 (le mardi 6 octobre). Autant de points qui nécessiteront une réflexion collective, si d’aventure le format était retenté sur une prochaine édition.
Pour le chercheur comme pour la médiatrice, l’expérience reste néanmoins positive. « Les personnes qui ont vu le live ont vraiment apprécié. L’une d’elles, le jour J, avait posté ‘’Je n’aurais jamais cru, le soir en rentrant du travail, regarder une vidéo sur les crevettes du Rhin et les trouver intéressantes’’, ce qui nous a fait très plaisir », rapporte Camille Duret.
Mieux préparés, ces formats pourraient en outre offrir un réel bénéfice lors de futurs événements, notamment pour des publics éloignés de la métropole. « Cela peut permettre de toucher des personnes que ce type de contenus intéresse mais qui ne se seraient pas forcément déplacées pour une heure seulement. »
Les streamers scientifiques font leur entrée
Un avantage que relève également Théo Silvagno, président du Collectif Conscience. Le vulgarisateur scientifique a proposé, avec plusieurs autres streamers scientifiques de la jeune communauté PogScience, un marathon live de 10 heures le dimanche 11 octobre pour la Fête de la science. « Chacun se relayait sur la chaine de l’autre, nous avions un créneau de 2h chacun. C’était un gros travail d’organisation pour faire en sorte qu’il n’y ait aucun retard et que tout le monde commence à l’heure. » Atelier « mondes imaginaires », « popotes scientifiques », quizz astro… Les thèmes des émissions alternent, mais leur principe reste le même : du live et de l’échange.
« Les gens apprécient le côté discussions, tchat… Nous voyons les commentaires en direct, ils apportent parfois des compléments à ce que nous disons, c’est très intéressant. Twitch a développé un environnement très propice à l’interactivité. »
Initialement conçue par des gamers, pour la diffusion en direct de jeux vidéo, la plateforme est encore peu connue pour sa diffusion de contenu scientifique. Les audiences restent timides. Néanmoins pour cette première édition, les streamers et streameuses sont satisfait.es. « Nous sommes montés à 50, voire 70 spectateurs en direct. Ça peut sembler peu si on se réfère aux vidéos Youtube, mais il ne faut pas oublier que sur Youtube, il s’agit de vues cumulées. »
En plein développement, ce format de médiation pourrait bien faire parler de lui lors de la Nuit européenne des chercheurs ou de la prochaine édition de la Fête de la science. Pourquoi ne pas imaginer des formats hybrides, avec des villages des sciences relayés en direct sur Twitch ? « Il y a un réel intérêt à faire des live, pour que des publics qui ne peuvent ou n’osent pas se déplacer puissent avoir accès à la culture scientifique. »
À l’heure du bilan, les sentiments sont mitigés. Contraints de s’adapter et de se réinventer dans une relative urgence, les acteurs de la médiation scientifique ont parfois essuyé les plâtres. Comment choisir le bon format numérique, l’horaire optimal de diffusion, quelle communication mettre en place pour espérer une audience nombreuse ? Et qui touche-t-on ? Attire-t-on ceux habitués à se déplacer sur des lieux physiques, comme un village des sciences, ou réussit-on à en atteindre de nouveaux ? S’adresse-t-on uniquement à un public local ou plus éparse ? « Il va falloir dresser un bilan à l’échelle nationale, peut-être via l’Amscti, propose Sandy Aupetit, mettre en commun tous ces retours d’expérience pour voir ce qu’il serait intéressant de poursuivre au-delà de la crise sanitaire. »
Marie-Catherine Mérat, novembre 2020.
Pour aller plus loin :
- (H)auteurs UGA (Grenoble)
https://www.instagram.com/hauteurs_uga/
Le village des sciences numériques (Tours) :
https://www.youtube.com/watch?v=2s_kTtSiCAE
- Le site FDS Tours :
https://fetedelascience.univ-tours.fr/
- Facebook live Microcosmos aquatique (Strasbourg) :
https://www.facebook.com/Musee.Zoologique.Strasbourg/videos/1334561080208395
- Le collectif Conscience